Le piratage cérébral : le chemin vers un manque de discernement

Le piratage cérébral : le chemin vers un manque de discernement

Il est entendu de nos jours d’avoir un filtre, un anti-virus sur notre ordinateur, notre téléphone, pour éviter que notre machine soit infectée ; alors qu’en est-il d’une machine extrêmement précieuse qu’est le cerveau humain ?

Tous les jours nous prenons le risque que nos vulnérabilités psychologiques soient exploitées. Ne serait-il pas temps de bien connaitre qui menace notre cerveau et comment ?  et « accessoirement » de le protéger?

Nos pensées, nos actes sont manipulés par des algorithmes, par les autres, et … contre toutes attentes par nous-même.

I-Pouvons-nous réellement pirater notre propre cerveau ?

I.1-Manipulé par les algorithmes :  la chambre d’écho

Nous avons à portée de notre index une masse impressionnante d’informations. 

J’allume mon téléphone, mon ordinateur, me voilà connecté à Twitter, Facebook, TikTok, tel ou tel journal, (avec des lignes éditoriales marquées pour certains par exemple 😊 )…

Alors pour quelques-unes de ces applications, nous avons choisi de les consulter « volontairement », mais pas pour d’autres, où les algorithmes (les bulles de filtre) sont entraînés à suivre nos comportements, à déterminer nos habitudes de navigation. Ces formules sont ainsi capables de recommander du contenu de plus en plus personnalisé, on entre dans la fameuse chambre d’écho.

  • Une chambre d’écho est un biais qui décrit une situation où certaines idées, croyances sont renforcés par la répétition, empêchant ainsi la libre circulation d’opinions autres ou d’alternatives. Dans cette « chambre » on a aussi tendance à primer la confiance plus que l’expertise.

Finalement tous ces réseaux polarisent notre opinion, nous isolent intellectuellement par communauté.

Pour peu que nous ne fassions pas l’effort de confronter notre opinion à d’autres points de vue et nous voilà face à des informations incorrectes pouvant être partagées de manière très convaincante.

Mais derrière un algorithme il y a une machine, et derrière la machine il y a un humain. La manipulation vient aussi et surtout d’autrui.

I.2-Manipulé par les autres : la désinformation

Qui n’a pas entendu parler de Cambridge Analytica ? Ce n’est qu’un exemple d’un groupe « qui a pu manipuler l’information et contrôler ce que nous voyons et sur quoi nous nous concentrons »[1].

Je n’entrerai pas dans le détail de la désinformation, les articles fleurissent et particulièrement depuis le conflit Russo Ukrainien, comme si elle n’existait pas avant :/

Les chambres d’écho peuvent créer de la désinformation, dont le but est de détourner l’attention des faits et nous amener à nous concentrer sur une fausse vérité ou un point de vue biaisé.  Cette chambre d’écho va créer une pensée de groupe où les mêmes approches erronées persistent malgré leurs défauts évidents.

Nous pensons ainsi que nous sommes libres, mais la vérité est tout autre, nous avons été dupés.

Et enfin il ne faut pas oublier que les attaquants utilisent les mêmes outils contre leurs cibles. Ils auront la capacité de créer de fausses nouvelles qui correspondent à nos croyances, et nous amèneront par exemple à cliquer, en créant de faux emails personnalisés.

I.3-Nous ne sommes pas irréprochables

On ne peut pas tout mettre sur la « tête » des réseaux sociaux, il ne faut pas oublier que naturellement, l’être humain a tendance à préférer les contenus qui confirment ce qu’il pense déjà. Cela se nomme le biais de confirmation.

https://www.lemagit.fr/tribune/Cybersecurite-les-biais-cognitifs-dans-tous-leurs-etats-5-5

Ce biais altère notre raisonnement et notre jugement, nous poussant parfois à mal agir.

En renseignement cyber, on se doit de confronter des informations via plusieurs sources c’est essentiel. On doit donner une pondération, un scoring à chaque renseignement fourni.

S’il y a un biais dans lequel l’analyste de TI (Threat Inelligence) ne doit pas tomber c’est bien dans celui du biais de confirmation.

Sans quoi le risque est que nous nous informions auprès de sources qui adoptent principalement notre propre point de vue, et l’analyse sera biaisée.

https://www.lemagit.fr/tribune/Cybersecurite-les-biais-cognitifs-dans-tous-leurs-etats-2-5

Ainsi donc, de nombreux facteurs déterminent la façon dont nous pensons, percevons et agissons.

Alors si cela s’arrêtait à un simple acte d’achat ce ne serait pas si grave, ou moins grave, mais cette méthode est aussi utilisée dans la diffusion des idées et des opinions politiques. Notre jugement critique est en jeu.

II-Quels risques et comment y échapper ?

II.1-Le danger

Le danger est, que chacun voit le monde à travers un prisme imposé, de faire en sorte de capter l’attention de l’individu.

Les autres opinions ne sont plus considérées, notre horizon informationnel s’appauvrit, et nous pouvons être ainsi confrontés à:

  •  la polarisation des idées politiques
  •  la création de communautés

Dans l’exemple ci-dessous, la carte montre les relations qu’entretiennent entre eux les médias américains sur le réseau Twitter.

https://www.technologyreview.com/2018/08/22/140661/this-is-what-filter-bubbles-actually-look-like/

 « il existe des chambres d’écho claires, il existe également un réseau entrelacé d’élus, de la presse et de professionnels de la politique et des politiques. »

  • la perte du regard critique
  • la dégradation de la qualité et la diversité des discours
  • la naissance des théories du complot (Qanon)
  • du piratage informatique

II.2-Comment se protéger?

Le problème c’est qu’une fois que nous avons lu une information, cette dernière est assimilée dans le cerveau et cela aura probablement influencé notre point de vue. Alors autant éviter que cela se produise, comment ?

  • En variant les sources d’informations
  • En interagissant avec des personnes ayant des perspectives différentes des nôtres
  • En apprenant à connaitre les biais et leurs conséquences
  • En développant son sens critique
  • En se questionnant : cette source donne t’elle qu’un seul point de vue ? Quelles sont les arguments qui soutiennent ce point de vue ? Est-ce une rumeur ? Existe-il des preuves ? Qu’est-ce que je lis et pourquoi est-ce que je le lis ?’
  • En faisant confiance à nos émotions. Lorsqu’on ressent un sentiment de gêne ou de mal être, notre corps nous transmet un message
  • En ne cherchant pas l’approbation à tout prix sur les réseaux sociaux.

« Certaines gens voient comme si leurs yeux étaient au bout d’une perche, très loin de leur cerveau. »

Jules RENARD

L’ère du piratage du cerveau n’est-elle qu’à ses balbutiements ? L’électrocorticographie (l’enregistrement graphique de l’activité cérébrale grâce à des électrodes en contact direct du cortex,  technique pour décoder des intentions motrices.[2]) , le mind uploading (simulation informatique détaillée d’un cerveau humain. ), c’est pour demain ?

En attendant nos esprits sont piratés, nous avons besoin d’un antivirus nouvelle génération, et cet antivirus c’est vous !


Nathalie Granier – Novembre 2022


[1] Echo Chambers and the Nature of Online Information by Rowan Gledhill.2019

[2]https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/electrocorticographie